CE QUE « BON PAIN » SIGNIFIE AUX YEUX DE BONPAIN – entretien avec João Martins
La réflexion sur le bon pain est avant tout une réflexion sur notre manière de vivre
Dans la vie, quand on s’appelle João Martins, il faut avant tout aller de l’avant. « Ça ne peut plus continuer comme ça », ou comment le PDG d’une boulangerie se fait aussi bien activiste que boulanger. Cette conversation — ou même, dirons-nous, cet essai — met la lumière sur ce qu’est un bon pain, et comment il est inextricablement ancré dans un écosystème où tout est lié, des emballages comestibles aux moulins à farine à l’énergie solaire en passant par une flotte de Teslas.
« Aujourd’hui, penser différemment est une nécessité », lance João d’entrée de jeu. Derrière ses paroles, on perçoit une grande motivation teintée d’un certain sentiment d’urgence, mais jamais de panique. C’est la faim qui parle. Selon lui, toute la chaîne alimentaire doit changer, mais pas nécessairement se reconstruire de zéro. « Je veux continuer ce que mes parents m’ont légué et réinstaurer ce que les boulangers ont oublié au fil des ans. » Par exemple, travailler avec des céréales anciennes, cultivées pour leur goût et leur valeur nutritive, et pas uniquement avec des céréales qui donnent un meilleur rendement.
Nostalgique ? « Pas du tout ! Il s’agit juste d’une prise de conscience. Avec la réalité du monde actuel, il faut que les choses bougent. Il ne devrait plus être possible d’acheter sans y penser un t-shirt Abercrombie & Fitch ou une miche de pain qui n’est pas bonne. » João se demande constamment comment améliorer les choses. Son militantisme réside dans son observation implacable des détails qui font la différence. Sa quête consiste à déterminer comment faire du meilleur pain en conjuguant temporalité, savoir-faire et, oui, aux céréales anciennes. Mais c’est beaucoup plus que ça. La croisade de João ne s’arrête pas au pain, pas même au bon pain. Pour lui, c’est tout le capitalisme qui doit être réinterprété. « Nous pouvons tout améliorer, rien n’est sacré. »
L’INSPIRATION EN DIRECT DE LA NATURE
Qu’est-ce qu’un bon pain selon BONPAIN ? Voilà bien une question qu’il est impossible de séparer d’une autre interrogation : qu’est-ce qu’un bon mode de vie ? La réponse se trouve dans chaque décision prise dans les bureaux et dans chaque pain sorti du four. « Ce que je veux, c’est travailler de la même manière que la nature. » C’est ce qu’on appelle le biomimétisme : la science qui étudie l’environnement et applique ses mécanismes à d’autres domaines. Mercedes a construit une voiture inspirée de l’aérodynamique d’un poisson, la Nasa développe des combinaisons d’astronautes calquées sur la peau des requins.
« Si vous observez la nature, vous voyez que le peu d’impact qu’un être vivant a sur un autre ne dépasse jamais le strict nécessaire. Les organismes ne se nuisent pas entre eux, au contraire, ils vivent grâce aux uns et aux autres. Cela peut sembler poétique, mais ça
fait sens. De la même manière, nous n’abusons pas de notre environnement, nous le nourrissons en continu pour que l’écosystème qui nous entoure se relance de lui-même. Je veux produire quelque chose qui s’apparente aux fruits : il suffit d’en recracher les graines, tout le reste se mange et peut servir. Au final, même les graines ont leur utilité. »
« Nous n’abusons pas de notre environnement, nous le nourrissons en continu pour que l’écosystème qui nous entoure se relance de lui-même. »
Réfléchir à ce que devrait être un bon pain, honnête mais sans prétention, c’est par définition se soucier de la farine dont on a besoin, de son origine, de l’agriculteur qui cultive les céréales, de l’emballage et du transport. Mais avant de commencer à se poser ce genre de questions, il existe pour João une question plus fondamentale : quel type de pain produisons-nous ?
« Est-ce que je veux engraisser les gens ? Les rassasier ? Les nourrir ? L’aspect diététique me préoccupe. En médecine chinoise, ils ne croient pas à la guérison, ils partent du principe que l’alimentation adéquate devrait avoir pour but d’empêcher le besoin d’être guéri. Si vous trouvez déjà tout dans votre alimentation, vous n’avez plus besoin de compléments. Je fais du pain qui suit la même philosophie. Le point de départ d’un bon pain est pour nous un pain qui nourrit. Pas trop, juste assez. À l’instar d’un ours, qui, lorsqu’il cueille des baies en forêt, ne prend jamais plus que ce dont il a besoin. »
LES LEÇONS D’AGRICULTURE DE LA FORÊT
Quand on parle d’efficacité, les forêts sont un autre biotope qui interpelle João. « Avec nos techniques modernes, nous aimons à penser que nous faisons mieux que la nature. Ce n’est pas le cas : une forêt produit des tonnes de fruits utilisables, bien plus que ce que notre agriculture produit. Grâce à l’équipe qui nous accompagne, nous expliquons tout ceci aux agriculteurs avec lesquels nous travaillons, mais aussi à nos fournisseurs. Nos agronomes nous aident à comprendre, transmettre et appliquer ces mécanismes. »
Si l’on suit cette technique, la frontière entre champ et forêt s’estompe naturellement : les noyers sont plantés entre les céréales. Qui plus est, ils ne doivent plus faire appel à d’imposantes machines : une forêt n’a pas besoin d’être labourée. « Les vers font le travail à votre place, il ne reste qu’à rayer le montant d’essence du tracteur sur la facture. »
BONPAIN n’est pas seulement synonyme de pain délicieux et d’entreprise florissante, il s’agit aussi d’étendre cet état d’esprit d’amélioration à tout ce qui les entoure. « Nous développons notre récit en veillant à ce qu’il incorpore autant de pièces du puzzle que possible. Nous ne visons pas un objectif unique, mais bien une évolution constante et une prise en compte de chaque étape de la chaîne de valeur », résume João.
LES DÉTAILS SONT BIEN PLUS QUE DES DÉTAILS
Et quand João dit chaque étape, il ne ment pas. BONPAIN filtre indépendamment le chlore par l’osmose inverse, les nitrates et les métaux lourds de l’eau utilisée, puisque ces derniers ralentissent l’action des produits à base de levure. Résultat : la production d’un BONPAIN nécessite moins de levure. La quantité utilisée frise le centième de celle
de la boulangerie actuelle. Même la farine est moulue en interne, dans des moulins conçus sur mesure — même si tous les principaux fournisseurs avaient déclaré qu’il serait impossible d’en construire sans un seul morceau de plastique.
Les voitures de société ont été remplacées par des Teslas (« actuellement la meilleure option sur le marché ») et BONPAIN a installé des panneaux solaires sur son toit. Mais cela va encore plus loin : João a convaincu l’ensemble du parc industriel à faire de même. Faire participer des tiers est important pour donner du poids à la vision BONPAIN, mais attention, « nous n’allons pas attendre les autres », prévient João.
« Nous sommes engagés dans un TGV ; nous nous arrêtons parfois pour embarquer d’autres personnes, mais ceux qui veulent adhérer doivent monter rapidement. »
Cette volonté d’efficacité, de qualité irréprochable et d’impact minimal transparaît dans chaque décision, de la façon dont le zeste de citron est extrait (à la main) aux enveloppes des grains utilisées pour fabriquer des emballages comestibles. La seule chose sur laquelle João ne veut pas faire de compromis, c’est le temps. « Il faut 72 heures pour faire un pain. Il n’y a que de cette façon que l’on peut obtenir la croûte parfaite et les bons arômes. Goûtez-le maintenant et goûtez-le demain, ce ne sera jamais le même pain. À vous de savoir quand il est parfaitement mûr. »
Il y a de quoi s’interroger : BONPAIN est une boulangerie, c’est certain. Mais ne serait-ce pas également un bureau de recherche à temps partiel qui se penche sur le principe de l’économie circulaire entre producteur, boulanger et consommateur, l’obtention d’une saveur artisanale à un niveau de haut rendement, et même sur la place qu’occupent leurs machines à café dans ce système ? « Nous sommes des boulangers », João hausse les épaules. « Mais rien ici n’est laissé au hasard ».
DAVID CONTRE GOLIATH
Les Grecs avaient un mot pour qualifier l’ambition démesurée : l’Hubris. Attention disaient-ils, l’orgueil et la fierté précèdent souvent la chute. Avec autant de projets aux si louables conséquences, l’on pourrait soupçonner BONPAIN d’avoir les yeux plus gros que le ventre. « J’ai bien conscience que nous ne sommes pas Elon Musk, seulement une petite boulangerie bio. Mais ambitieux, je ne sais pas. Est-ce ambitieux pour un cerf de courir toute sa vie lorsqu’il est poursuivi par un tigre ? Notre façon de faire n’a rien à voir avec l’ambition ; nous n’avons tout simplement pas d’autre option.»
« À ma petite échelle, je veux apporter tellement de changements qu’aucune entité plus grande n’aura d’excuse valable pour ne pas s’y essayer aussi.»
La vision est en tout cas limpide. « À ma petite échelle, je veux apporter tellement de changements qu’aucune entité plus grande n’aura d’excuse valable pour ne pas s’y essayer aussi. Nous sommes si investis dans nos convictions que les autres suivront. Non pas parce qu’ils le doivent, mais parce qu’ils le veulent. Être incontournables, c’est ce à quoi nous aspirons.»